L’exéquatur des jugements étrangers en droit marocain

MOHAMED AGHRI

    Les décisions judiciaires en terme de principe juridique, sont exécutées dans le pays où elles sont prononcées, sauf que par exception elles peuvent également être exécutées dans un pays autre que celui dans lequel elles sont émises, cela a poussé toutes les législations à intervenir afin d’organiser les règles de l’exécution d’une manière qui n’affecte pas la situation politique, économique ou sociale du pays objet d’exécution, dans le respect du principe de la souveraineté de l’Etat. De ce fait, on peut s’interroger sur les procédures et les formalités juridiques à suivre pour exécuter un jugement étranger au Maroc ?

     Nous allons mettre l’accent dans une première partie les conditions d’exécution d’un jugement étranger au Maroc, alors que la  deuxième partie sera l’objet de la procédure d’exéquatur et ses effets juridiques.

 

 Partie 1 : les conditions d’exécution d’un jugement étranger au Maroc

      En référant à l’article 430 du code de procédure civile, on trouve  son deuxième alinéa  énonce que le tribunal saisi doit s’assurer de la régularité de l’acte et de la compétence de la juridiction étrangère de laquelle il émane, il vérifie également si aucune stipulation de cette décision ne porte atteinte à l’ordre public marocain.

      A cet effet, nous essayerons dans cette partie de distinguer entre les conditions spécifiques liées au jugement étranger objet d’exécution et entre les conditions relatives à la souveraineté du pays objet d’exécution et à son ordre public.

Section 1 : les conditions spécifiques au jugement étranger objet d’exécution

    Le tribunal saisi doit s’assurer de la régularité de l’acte, de la compétence de la juridiction étrangère de laquelle il émane.

    A la lumière de cette alinéa, le législateur exige la validité de la décision étrangère et que cette dernière soit rendue par une juridiction compétente.

Paragraphe 1 : la validité du jugement étranger

    Pour qu’il puisse être valable, le jugement doit répondre aux conditions de fond et de forme.

    Pour les conditions de forme, il s’agit de la capacité des parties et ceci conformément au premier article du code de procédure civile qui exige à cet égard la capacité de la personne qui entamer l’action en justice comme condition de validité. Ajoutant à cela le respect des droits des justiciables et ceci à partir de convoquer légalement les parties aux audiences et ceci conformément aux voies de notifications déterminées par le droit procédural du pays qui a rendu ledit jugement.

    Quant aux conditions de fond, la juridiction qui a rendue le jugement doit  respecter les règles de procédure pour sa validité, à cet égard le juge marocain doit chercher  la bonne application ou non de la procédure en question.

    Dans ce cadre, la jurisprudence a mis d’accord sur la validité du jugement au niveau de la forme c’est ce qu’a estimé la cour de cassation lorsqu’elle a demandée au tribunal saisi pour l’exéquatur du jugement étranger  de constater la validité de celui-ci sans en discuter le fond et la convocation des parties aux audiences…

Paragraphe 2 : le jugement étranger doit être rendu par une juridiction compétente

    L’article 128 du code de la famille et l’article 430 du code de procédure civile exigent que le jugement ordonnant la rupture de du rapport conjugal entre les deux époux doit être prononcé par un tribunal étranger compétent. Cependant, le problème juridique qui se pose à ce niveau est de savoir de quel type de juridiction s’agit-il ? est ce que cela signifie le tribunal étranger du territoire des parties « la compétence territoriale » ou le tribunal compétent selon la nature de l’affaire suite aux règles de compétence prévues par sa loi nationale?

    A vrai dire,  si on répond à cette question par oui, cela rendra bien sur la tache du tribunal devant lequel la demande d’exéquatur s’est présentée plus dure, car c’est difficile de savoir tous les aspects et suivre toutes les modifications et les nouveautés apportées aux lois plus précisément en matière de compétence, alors que l’objectif principal étant la flexibilité dans l’exécution des jugements pour les ressortissants marocains résidants à l’étranger.

   On peut dire à cet effet, que la juridiction marocaine n’est pas compétente pour contrôler dans quelle mesure le tribunal étranger a-t-il respecté ses propres lois mais elle est compétente de contrôler dans quelle mesure les règles du droit international privé marocain ont été bien respectées…

Section 2 : les conditions relatives au pays de l’exécution du jugement étranger

    Outre les conditions prévues dans l’article 430 du code de procédure civile relatives au jugement étranger objet d’exécution dont nous avons déjà parlé ci-dessus, le code de la famille est entré en ligne par de nouvelles exigences qui tiennent compte la spécificité du statut personnel des individus puisque ses nouvelles dispositions visent à protéger la souveraineté du Royaume du Maroc  ainsi que son ordre public.

Paragraphe 1 : l’inviolabilité de l’ordre public marocain

    L’ordre public marocain tire ses fondements des règles de  la charia islamique. En fait, il n’existe pas de définition claire de l’ordre public car la notion  diffère selon les pays et les époques ce qui est considéré relevant de l’ordre public à un autre moment, même s’il s’agit du même pays.

    Cependant, dans ce cadre une distinction peut être  faite entre l’ordre public interne et un ordre public international, car le premier est un ensemble de règles juridiques que les individus ne peuvent violer, tandis que le second s’incarne dans un sentiment d’appartenance religieuse, politique ou sociale qui dépasse les frontières d’un pays donné.

    En effet, l’inviolabilité de l’ordre public est affirmée même par les conventions internationales cas de l’article 4 de la convention Franco-Marocaine de 1981 relative au statut personnel des ressortissants des deux pays, qui stipule que l’application de la loi de l’un des deux pays désigné par la présente convention ne peut être dérogé par une partie aux tribunaux d’autre pays que si cela est manifestement contraire à l’ordre public.

    En outre, une contradiction ne doit pas être entre le jugement étranger et un jugement marocain déjà acquit la force de la chose jugée,

 ce qui est prévu dans l’article 23 de la convention Maroco-Espagne de 30  Aout 1997 relative à la coopération judiciaire en matière civile, commerciale et administrative.

Paragraphe 2 : le jugement étranger doit être fondé sur des motifs compatibles avec ceux prévus par le code de la famille marocain

    L’article 128 du code de la famille dispose dans son deuxième alinéa que les jugements de divorce, de divorce judiciaire, de divorce khol ou de résiliation de mariage rendues par des juridictions étrangères sont susceptibles d’exécution s’ils sont rendus par un tribunal compétent et fondés sur des motifs qui ne sont pas incompatible par ceux édictés par le présent code pour mettre fin à la relation conjugale, il en est de meme pour les actes conclus à l’étranger devant les officiers et les fonctionnaires publics compétent après avoir satisfait aux procédures légales relatives à l’exéquatur, conformément aux dispositions des articles 430,431 et 432 du code de procédure civile. Ce motif que le législateur a mentionné dans le code de la famille est considéré un motif spécial étant concerne uniquement la rupture des rapports conjugaux et non d’autres litiges familiaux.

Partie 2 : la procédure d’exéquatur et ses effets juridiques

     L’étude de la procédure et des effets de l’exécution d’un jugement étranger au Maroc est  d’une grande importance, car il s’agit d’une reconnaissance des droits  acquis à l’étranger, et une manifestation de la souveraineté de l’Etat en traduisant un principe constitutionnel important qui est la protection de l’ordre public.

     En effet, protégé l’ordre public n’est pas une chose aisée juridiquement, surtout avec les différentes constitutions du monde, les lois, les chartes internationales et la nature des relation qui lient les Etats par conséquent,  la portée de l’ordre public et le principe de la souveraineté des Etats augmente et diminue. Alors, le législateur marocain a-t-il pu à travers ses mécanismes juridiques protéger l’ordre public marocain dans le cadre de l’exécution des jugements étrangers au Maroc ?

    Nous allons aborder dans cette partie la procédure d’exécution des jugements étrangers au Maroc et les effets  de cette procédure.

Section 1 : procédure d’exéquatur

    A partir des articles 430 et 431 du code de procédure civile, l’exécution du jugement étranger se faite après son exéquatur de la formule exécutoire par le tribunal de première instance du domicile ou du lieu de résidence du défendeur, le cas échéant du lieu d’exécution. Le tribunal dans ce cadre doit vérifier la validité du jugement étranger et la compétence de la juridiction étrangère et de vérifier également l’inviolabilité de celui-ci à l’ordre public marocain.

Paragraphe 1 : la demande d’exéquatur

    À la lumière des deux articles ci-dessus, la demande d’exéquatur est introduite et accompagnée des pièces suivantes à défaut d’une convention international stipulant autrement, ces document sont :

  • Une expédition authentique de la décision ;
  • L’original de la notification ou de tout autre acte en tenant lieu ;
  • Un certificat du greffe compétent  constatant qu’il n’existe contre la décision ni opposition ni appel ni pourvoi en cassation ;
  • Eventuellement une traduction complète en langue arabe des pièces énumérées ci-dessus certifié conforme par un traducteur assermenté ;

Le jugement est rendu en audience publique.

Paragraphe 2 : la juridiction compétente en matière d’exéquatur  

    La demande d’exéquatur doit être présentée au tribunal de la première instance du domicile ou de la résidence du défendeur ou du lieu d’exécution, en effet, dès lors que cette demande est présentée les taxes et droits de  plaidoirie doivent être payés conformément aux procédures normales que ce soit le jugement étranger est rendu par les juridictions de premier degré, du deuxième degré ou en urgence.

    Ce que l’on entend par le tribunal de première selon ce qui a été établi par la jurisprudence est le juge de fond et non pas le juge des référés. Bien que, la compétence du tribunal dans ‘article  430 du code de procédure civile est de l’ordre public, l’accord des parties doit être respecté « le cas par exemple de choisir le président de tribunal au lieu du tribunal de fond »

    Quant à la distinction entre le domicile et le lieu de résidence, il est possible de se référer aux articles 519 et 522 du code de procédure.

    D’une manière  générale, les parties au jugement étranger ne pourront pas l’exécuter  que par voie judiciaire, en déposant la demande d’exéquatur qui doit comporter l’énoncé du jugement étranger.

Section 2 : les effets de l’exécution d’un jugement étranger

    Après les procédures et les formalités juridiques sus-indiquées, le jugement objet d’exécution produit ses effets du jugement national, selon la doctrine concernée.

    D’ici nous distinguons entre les  effets directs et les effets indirects.

Paragraphe 1 : les effets directs

    D’après les dispositions de l’article 418 du Dahir des obligations et des contrats les jugements rendus par les tribunaux marocains et étrangers, en ce sens que ces derniers peuvent faire foi des faits qu’ils constatent, même avant d’avoir été rendus exécutoires.

     On peut dire à cet effet que le jugement étranger qui n’est plus susceptible d’aucune voie de recours est définitif et acquit une force exécutoire qui lui donné un caractère obligatoire, par cette force le jugement étranger s’élève au niveau du jugement national tel qu’il le dérive de loi ou d’une décision judiciaire.

Paragraphe 2 : les effets indirect

     Le jugement étranger rentre dans la case des actes authentiques que le législateur marocain a traité dans le cadre de l’article 404 «  la preuve littérale » et 418 et suivant du Dahir des obligations et des contrats, el ce jugement étranger bien qu’il soit exécuté qu’après avoir été passer par voie d’exéquatur, mais cela ne l’empêche pas d’invoquer les faits qu’il prouve et ceci conformément aux dispositions de la deuxième alinéa de l’article 418 du D.O.C .

Dans le même contexte, l’article 14 de la convention Franco-Marocain dispose que les jugements ayant acquis la force de la chose jugée relatifs au statut personnel peuvent être publiés et inscrits sur l’état civil sans qu’ils soient passé par l’exéquatur.

MOHAMED AGHRI

Chercheur en droit des affaires, immobilier et notarial

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