La rationalisation de la détention préventive: entre la présomption d’innocence et l’état de dangerosité

        Les règles de forme en matière pénale jouent un rôle actif et dynamique par rapport aux règles de fond, du fait, qu’il s’agit des règles procédurales ayant pour objet de réguler le procès pénal dès la constatation de l’infraction jusqu’à la prononciation et l’exécution de la sanction pénale, ainsi, il incombe de préciser que le législateur Marocain privilège d’adopter le système de la procédure mixte qui se manifeste au niveau de la combinaison entre les caractères de la procédure inquisitoire dans la phase d’instruction et ceux de la procédure accusatoire dans la phase de jugement.

         Bien évidemment, les règles de formes sont marquées par la présence d’un ensemble des droits légalement édictés par un arsenal juridique national et international en faveur de la personne pénalement poursuivie ; les garantis d’un procès équitable, dont, la présomption d’innocence est considérée comme un principe de base vu son implication tout au long du procès pénal , en revanche, il semble que ce principe est souvent limité en raison du recours à la mesure de la détention préventive d’une façon très excessive, ainsi que, le code de la procédure pénale Marocain ([1])  a souligné, expressément, que la détention préventive et le contrôle judiciaire comme des mesures exceptionnelles ; c’est-à-dire d’en faire recours rationnellement.

À cet égard, on peut s’interroger : en quoi consiste le principe de la présomption d’innocence ? Et pourquoi la rationalisation de la détention préventive pose-t-elle des défis sur le plan de la mise en œuvre ?

Pour répondre à ces questions, il convient, dans un premier lieu, d’entamer les fondements du principe de la présomption d’innocence (Section 1), dans un second lieu, de mettre l’accent sur les défis relatifs à la rationalisation de la détention préventive (Section 2)

 

Section 1 : les fondements du principe de la présomption d’innocence

La présomption d’innocence constitue avant tout un principe directeur de la procédure pénale à valeur constitutionnelle, certes, la Constitution Marocaine de 2011 ([2]) dénonce dans l’article 119 que tout prévenu ou accusé est présumé innocent jusqu’à sa condamnation par décision de justice ayant acquis la force de la chose jugée, du même coup, le bloc conventionnel a accordé de sa part un caractère universel à ce principe qui se situe au fond du cadre normatif relatif à la protection internationale des droits de l’Homme ;

Au niveau du système onusien, ledit principe est affirmé, explicitement, par l’article 11 de la déclaration universelle des droits de l’homme (1948) ([3]), ainsi, il est repris par l’article 14-2 du pacte international relatif aux droits civils et politiques ([4]), sans oublier qu’il faisait l’objet de l’article 7 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789) ([5]) qui s’est inspiré de l’apport doctrinal de la philosophie des lumières, notamment, la théorie du contrat social développée par Jean-Jacques Rousseau.

 

Au niveau des systèmes régionaux, le principe de la présomption d’innocence est reconnu par l’article16 de la Charte arabe des droits de l’Homme adopté par la Ligue des États arabes en 2004 ([6]), ainsi, il est édicté dans l’article 7-1 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ([7]) ce qui  démontre que le principe de la présomption d’innocence occupe une place prépondérante dans le droit international des droits de l’Homme.

Quoique ce principe ait fait l’objet du premier article du code de procédure pénale depuis 2002, l’histoire du Droit pénal Marocain témoigne que ce principe n’était pas édicté par l’ancien code de la procédure pénale ([8]), ce qui explique que, l’avènement de ce principe était le résultat d’un processus d’harmonisation de la législation nationale avec les traités internationaux, tout en tenant compte que la constitution Marocaine de 2011 a stipulé dans son préambule que le Maroc s’engage à accorder aux conventions internationales dûment ratifiées par lui, dans le cadre des dispositions de la Constitution et des lois du Royaume, dans le respect de son identité nationale immuable; et dès la publication de ces conventions, la primauté sur le droit interne du pays, et harmoniser en conséquence les dispositions pertinentes de sa législation nationale.

Il est vrai que ce principe oblige à accorder la liberté provisoire en faveur de la personne pénalement poursuivie jusqu’à sa culpabilité est établie par un jugement irrévocable, en réalité, c’est la détention préventive qui s’est ordonnée dans la plupart du temps, il s’agit une mesure privative de liberté qui peut être ordonnée à n’importe quel stade de l’instruction, même contre un inculpé soumis au contrôle judiciaire, elle peut également décidée par une juridiction de jugement. Le détenu n’est pas tenu à l’habit pénitentiaire ni au travail. ([9])

 

Selon le projet du Code de procédure pénale ([10]), actuellement soumis à examen, la détention préventive « une disposition exceptionnelle, à n’utiliser qu’en cas de force majeure » dans ce sens, plusieurs nouveautés sont apportées par le projet:

  • La réduction de la durée d’incarcération devant le juge d’instruction.
  • Quand il s’agit d’un délit, le délai de l’instruction ne doit pas dépasser un mois, renouvelable deux mois, soit 3 mois au total.
  • Pour les crimes, le texte en vigueur prévoit 2 mois, renouvelables 5 fois, soit une année. Le nouveau propose 2 mois, renouvelables 3 fois, ce qui en fait 8 mois au lieu d’une.
  • À la fin de cette durée, pour les délits comme pour les crimes, si le juge d’instruction ne prend pas de décision, il sera dans l’obligation de libérer l’inculpé. Pour mieux gérer cette situation, et en quelque sorte « obliger » les juges à statuer, au plus vite, en cas de détention provisoire, le mis en cause est désormais en droit de faire recours contre la légalité de la décision de la détention préventive.([11])

D’après la Cour Européenne des droits de l’Homme, le respect de la présomption d’innocence, dans le cadre du procès, s’impose encore, après que la décision pénale soit rendue et tient les autres juridictions amenées à trancher sur la même affaire.

De cette manière, une juridiction civile ne peut évoquer la culpabilité d’un individu alors même que les poursuites pénales engagées à l’encontre de celui-ci ont été suspendues. ([12])

 

 

 

Section 2 : les défis relatifs à la rationalisation de la détention préventive

         Commençons tout d’abord par une analyse statistique qui clarifie le recours excessif à la détention préventive comme le montrent les tableaux suivants :

Les statistiques officielles ([13]) reflétèrent une stagnation dans le temps au niveau du recours à la détention préventive que se soit, dans la phase de la poursuite, ou celle de l’instruction, par conséquent, on peut lister plusieurs impacts négatifs de cette mesure à savoir, l’atteinte à la liberté individuelle et le manque d’un régime d’indemnisation en cas de la non-culpabilité de l’auteur, à noter encore que Mustapha Ramid, ministre d’ État chargé des droits de l’Homme et des relations avec le Parlement, a fait savoir que le taux de surpopulation carcérale en 2019 s’élève à 138%, avec 1,89 m2 accordé à chaque prisonnier.([14])

Ce qui signifie que la détention préventive peut dénaturer et dégrader les conditions de détention, au même temps, elle pousse l’État à prendre en charge les dépenses journalières des détenus, au contraire, les fonds publics peuvent donc être investis dans l’éducation et la santé qui représentent des secteurs de base exigeant plusieurs réformes et ajustements.

Néanmoins, l’état de dangerosité de l’acte et/ou la personnalité de l’auteur demeure un motif à la base duquel le juge du parquet général ou celui d’instruction ordonne la détention préventive, il convient d’illustrer que les nouvelles orientations de la pensée pénale se détachent de plus en plus de la doctrine classique de Jeremy Bentham en la matière, ou encore, celle de da doctrine de la défense sociale d’Adolphe Prins ayant envisagé ce concept comme un état dévalorisant à l’égard du délinquant qui mérite l’exclusion de la société et la privation de sa participation à la vie collective, par contre, La doctrine de la défense sociale nouvelle représentée par Filippo Grammatica prône la conception d’intégration et la justice sociale.

En fait, l’état de dangerosité n’est pas le seul facteur qui entrave la rationalisation la détention préventive, car il y on a plusieurs facteurs :

  • Le facteur juridique : en Droit pénal comparé (Français), on constate une diversification et une variété au niveau des dispositions juridiques ayant pour finalité de limiter le recours à la détention préventive, à titre d’exemple : le placement sous surveillance électronique (bracelet électronique), dont, les personnes mises en examen, placées sous assignation à résidence peuvent en bénéficier après avoir formulé une demande auprès du juge d’instruction ou du juge des libertés et de la détention. ([15]) Chose qui n’existait auparavant, mais prévu récemment par le projet du Code de procédure pénale.
  • Le facteur socio-économique : la libération sous caution peut constituer en quelque sorte une contradiction significative avec le principe d’égalité devant la loi, malheureusement, ladite mesure n’est pas accessible pour ceux qui n’ont pas les moyens financiers nécessaires, alors, ils ne leur restent que le destin de la détention préventive, par là, il apparaît que l’égalité devant la loi demeure une nécessité incontournable comme disait Montesquieu la loi devrait être comme la mort, elle n’épargne personne. ([16])
  • Le facteur politique : à l’échelle continentale Africaine, il est souligné d’après la doctrine que les dirigeants africains se préoccupent de la fortification de leurs États dont ils  savent qu’elle n’est réalisable que par le maintien de la stabilité sociale, l’unité  nationale, la démocratie et le développement économique. Pour atteindre leurs objectifs et protéger ces valeurs fondamentales, ils n’hésitent pas à se  doter de systèmes pénaux parfois très répressifs. ([17])

En guise de conclusion, la rationalisation de la détention préventive nécessite avant tout un état d’esprit très riche et cultivé par les droits de l’Homme de la part du parquet général, Il est préférable d’élargir la gamme des choix laissés au juge pénal qui peut, à travers son pouvoir discrétionnaire, accorder les mesures de peine les plus adaptées et déterminer la sanction pénale la plus favorable au délinquant en fonction de sa personnalité, son milieu social et la dangerosité de son acte.

Références (Les notes de fin) :

 

([1]) Code de procédure pénale issu de la Loi n° 22-01, promulgué par le Dahir n° 1.02.255 Rajab 1423 (03 octobre 2002), Bulletin Officiel n° 5078 du 27 kaada 1423 (30 janvier 2003) – [traduction intégrale non-officielle par Mohammed MARZOUGUI, 3ème édition 2017].

([2]) Dahir n° 1-11-91 du 27 chaabane 1432 (29 juillet 2011) Portant promulgation du texte de la Constitution, Bulletin officiel n° 5964 bis du 28 chaabane 1432 (30/07/2011).

([3]) La déclaration Universelle des. Droits de l’Homme (1948) adoptée et proclamée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948.

([4]) PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES, Adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l’adhésion par l’Assemblée générale dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966.

([5]) La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789), adopté en France par l’Assemblée nationale en août 1789.

([6]) La Charte arabe des droits de l’homme, adoptée en mai 2004, à Tunis, lors du 16e Sommet de la Ligue des États arabes, est entrée en vigueur le 15 mars 2008.

([7]) Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, adoptée par des pays africains dans le cadre de l’Organisation de l’unité africaine Le 01 juin  1981, Date de la dernière signature : 19 mai 2016, Date d’entrée en vigueur : Le 21 octobre 1986.

([8]) Dahir n° 1-58-261 du 1er chaabane 1378 (10 février 1959) formant Code de procédure pénale, Bulletin Officiel n° : 2418-bis  du  05 mars 1959.

([9]) La procédure pénale, Cours magistral élaboré par Mohamed Eljirari, fsjes El-jadida, Année universitaire : 2018/2019.

([10])  Le projet de loi 18/01 relatif à la procédure pénale.

([11]) La détention provisoire en question, Article de presse publié par : Oum El GhitBoussif, Le : 19 Nov. 2018 à 10h48, sur le site : https://fr.hespress.com. – (Consulté Le : 23/04/2020)

([12])  CEDH 28 août 2012, FazliDiri c/ Turquie, n° 4062/07, Dalloz actualité 24 sept. 2012.

([13]) Rapport d’activité 2018, la DGAPR, disponible sur le site officiel de la Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion : https://www.dgapr.gov.ma/, (Consulté Le ; 24/04/2020)

([14]) Prisons marocaines: les chiffres inquiétants de Mustapha Ramid, https://www.h24info.ma, Par : KabiroBhyer -28 novembre, 2019 11:30 – (Consulté le 16/04/2020).

([15])  Le placement sous surveillance électronique, Article publié Le : 10 mai 2019 sur le site : www.justice.gouv.fr. (Consulté le 17/04/2020).

([16]) Citation Mort & Personne, disponible sur le site : https://citation-celebre.leparisien.fr. (Consulté le 16/04/2020).

([17]) Kouakou Eloi Yao, Les choix de politique criminelle dans le code pénal ivoirien, Archives de politique criminelle 2005/1 (n° 27), pages 201 à 223, Revue disponible sur le site : https://www.cairn.info. (Consulté le 15/04/2020)

Alkanounia.info

*Mohamed BENKACEM

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